Christian – Paris 14 (75) – 22/04/2020

« Certainement une grippette saisonnière ! », m’étais-je dit quand le sujet du virus a été évoqué par les médias et par des amis lors de réunions associatives. De plus, j’allais démarrer une nouvelle mission dans le secteur informatique. Tout allait pour le mieux jusqu’au moment où le confinement a été annoncé au journal télévisé et décrété. J’étais stupéfait.

A la dernière minute, je m’étais demandé s’il était opportun de prendre le train et rejoindre la demeure familiale en province. J’y ai finalement renoncé.

En bon citoyen, j’ai restreint mes sorties. Les marches quotidiennes se sont donc limitées aux allers-retours entre mon appartement et le local poubelle de mon immeuble, et aux courses.

Je ne m’ennuie pas confiné. Il y a de quoi faire :
– lecture. Je crois ne pas avoir lu la moitié de ma bibliothèque…
– écoute de CD. Je peux mettre le volume à fond (opéra, heavy metal) sans passer pour un marginal, les voisins étant absents 😉
– jeux vidéos des années 80 ou 90 (rétrogaming)
– réalisation de sites web, publication d’articles et back-office administratif pour mes associations
– formations en autodidacte
– relance d’amis, d’anciens collègues ou de professionnels que j’ai rencontrés en networking
– tri de vieilles affaires dans des boîtes de rangement, sous le lit ou au-dessus de l’armoire. C’est une chasse au trésor à la maison. Il ne manque plus que les œufs de Pâques périmés…
– entretien des chemises et des maillots. A moins que le tissu soit vraiment usé, pourquoi en racheter alors qu’il suffit de recoudre…
– le ménage et toujours le ménage
– développement d’activités secondaires (side-projects en franglais)
– suppression de vieux fichiers sur les réseaux sociaux et dans les espaces de stockage en ligne. Les datacenters contribuent au réchauffement climatique par leur consommation d’électricité, alors libérons les gigaoctets inutiles 🙂

Dans ma ludothèque, je me procurerais bien le jeu de plateau Pandemic, où les joueurs ne gagnent que s’ils collaborent tous ensemble face à une maladie mortelle, en unissant leurs compétences spécifiques. Soit tout le monde gagne (contre le jeu), soit tout le monde perd… Drôle d’écho avec les événements actuels !

Il n’y a rien de superflu dans mon panier de courses, à part de la nourriture et des produits d’entretien. Mon budget se retrouve grandement allégé. Cela me rappelle les journées (voire les mois) sans achat que préconisent des altermondialistes pour dénoncer la société de consommation et maîtriser nos compulsions. Nous pourrions profiter de ces moments pour promouvoir la consommation locavore et équitable, et ainsi privilégier les acteurs œuvrant 200 km à la ronde. C’est fort honorable d’aider leurs homologues à l’autre bout de la planète, mais je ne vois pas pourquoi on tarde autant à appliquer les préceptes du commerce équitable à nos propres producteurs travaillant 70h par semaine pour gagner au final, toutes charges déduites, moins que le SMIC…

A travers ma fenêtre, les travailleurs de l’ombre font surface : éboueurs, agents de nettoyage, personnel de santé, forces de l’ordre, pompiers, livreurs en scooter… Habituellement, je les croise plutôt entre 23h et 6h du matin, en pause assis sur un banc public ou dans les bus de nuit après des réceptions. A croire qu’en période de crise, sanitaire ou non, les travailleurs ordinaires passent « underground » et, pendant ce temps, les soutiers du système et les sentinelles de la République (ceux qui sont au 1er rang quand un incident survient dans le pays) sortent de l’underground. Cela fait réfléchir sur le cercle vertueux le plus à droite de l’ikigai, que l’on peut traduire par « utilité sociale d’un métier ».

Face à la crise, nos traits de civilisation sont mis à l’épreuve. Les réactions et les attitudes sont très différentes selon les sociétés :
– individualistes (« laissez-moi sortir ! ») ou collectivistes/confucianistes (« pour le bien de l’ordre public ou l’intégrité mon groupe, mes libertés sont restreintes et j’acquiesce. »)
– organisées ou non. Cela se voit à travers les procédures, ou au système D généralisé, mis en oeuvre à l’annonce du virus. Cela se voit également à travers nos capacités à mobiliser tous les acteurs de la société : associations de terrain, industriels, laboratoires…

Egalement, on peut constater la qualité de nos infrastructures :
– eau potable
– internet et télécommunications : indispensable pour le télétravail, pour rester en contact avec les proches et pour ne pas mourir d’ennui dans nos sociétés ultra-connectées
– services de santé, en particulier pour les plus modestes.

Au final , ce confinement est une bonne pause dans nos vies. Nous pouvons prendre le temps de nous occuper de notre intérieur (la maison) et de notre Intérieur (nous-mêmes). Nous (ré-)apprenons à vivre un temps lent, surtout dans les grandes métropoles adeptes du temps « speed ». Nous nous soustrayons temporairement du monde pour mieux étudier ce dernier, et, peut-être, imaginer et préparer un monde d’après un peu meilleur. Je pense que beaucoup de sujets seront remis sur la table et feront prochainement l’objet de débats vifs partout dans le monde : l’inclusion des plus faibles, l’accès au soins dans les pays où même la mise en place d’une CMU reste un gros mot, la revalorisation des métiers socialement utiles, la promotion des producteurs locaux, etc. Affaire à suivre !

Christian