« Comprendre et décrypter la pensée terroriste »

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Les attentats qui ont visé notre pays ont été perpétrés majoritairement par des français, certes issus de l’immigration post coloniale, mais dont certains invariants nous frappent aujourd’hui :

  • Ils sont issus de la deuxième génération, celle-là même qui n’a pas connu la terre de ses parents,
  • Ils sont décrits par la presse nationale comme ayant eu une enfance placée (frères Kouachi, …), ou au moins sans repères parentaux solides,
  • Ils ont connu la religion (ou l’idée qu’ils s’en font) sur le tard, après une enfance et adolescence le plus souvent vécue sans modèle identitaire structurant.

Ces constats posent au moins deux questions :

  1. La question de l’immigration sous l’angle de l’intergénérationnel et de la famille (certains terroristes sont issus d’une fratrie) : l’on peut défendre l’idée que « les séquelles » de la décolonisation, en tant que « problématique »  non résolue par une génération, a pu se reporter sur la (les) suivant(es). Les tueurs parlent de leurs « frères » en Syrie, jamais de leurs pères, certes, mais nous savons tous que les terroristes sont d’origine maghrébine, de pays ex-colonisés, et que cette provenance géopolitique ravive des débats, rouvre des plaies, et pousse à des prises de positions plus ou moins saines, sereines et réfléchies.
  1. La responsabilité de la France est évoquée lorsque l’on qualifie les assassins d’enfants de la République. La France les a en effet élevé, dans ses propres foyers, même s’ils sont présentés comme des êtres en perdition, sans repères ni valeurs, trouvant dans la religion fanatisée une sorte de « valeur-refuge ». Cet argument tend à expliquer leur parcours comme une succession quasi « logique » d’étapes qui a conduit les frères K par exemple à passer à l’acte : placement en foyer ou famille d’accueil dès la jeune enfance, déficit de règles parentales, errance sociale, découverte d’une valeur refuge qui, embrassée à l’extrême, les conduit au passage à l’acte sanguinaire.

Il y a bien évidemment des causes multiples et complexes à ce passage, que nous ne tentons pas d’expliquer. Cette note réagit à l’ « explication » donnée ici et là : ce parcours les conduit à développer des sentiments de rejet de leur pays (ils sont français, ou belges, pas syriens) et de ses valeurs, et se vengent de cette frustration sociale, économique, et politique, en le frappant.

Une fois dit cela, on a à la fois tout dit, et rien dit. Car cette « valeur refuge » n’est ni communautaire, ni religieuse, elle n’est que fanatique et folie vengeresse. Ils ne connaissent pas la religion au nom de laquelle ils agissent. Les voix de plus en plus d’exégètes, d’anthropologues, et de religieux s’élèvent pour le dire, et ces voix sont salvatrices. Mais alors, comment qualifier cette frustration ?

Cette idée a été développée par la sociologie de l’immigration, dont A. Memmi dans ses travaux sur l’altérité et la dépendance. Bien sûr, l’assimilation s’est réalisée pour la majorité, comme c’est le cas pour chaque vague d’immigration. Mais l’auteur estime que les immigrés espèrent implicitement une réparation de la période coloniale subie par leurs aïeux, alors que la réponse donnée par le pays ex-colonisateur devenu pays d’appartenance relève d’une neutralité de traitement – dans le meilleur des cas vécus – voire une relégation. Ce mécanisme dual conduit à un recours à une valeur refuge : l’Islam est alors pris en otage.

Le terrorisme peut devenir une valeur-refuge, dans une vie non plus simplement misérable d’un point de vue économique et social, mais profondément médiocre. Car le racisme ordinaire, les conditions socioéconomiques et la carence de processus identitaires structurants ne doivent pas faire oublier ce « deal implicite de départ », qu’il est nécessaire de mettre à plat et sans tabou.

Il nous revient de le faire, afin qu’il ne se reporte pas, une fois de plus, sur les générations futures.

Une façon de solder enfin nos comptes ensemble, en quelque sorte, et d’établir les bases saines du vivre ensemble dont on parle tant.

Nous devons le faire ensemble, pour dans les faits, vivre ensemble.

Malika El Mourid