AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE…

« Se taire est interdit, parler est impossible »

Lorsque Élie Wiesel, au regard de son effroyable passé, déclare cela, une question s’impose d’elle-même : est-ce inéluctable ? Les témoignages recueillis sur notre site internet s’insèrent dans cet « inter-dit », entre parole adressée à l’Autre (cf Levinas) et silence à priori forcé par la société. Parce que tout le monde doit être inclus dans notre société, l’ébauche d’un modèle plus solidaire doit laisser émerger le principe d’inséparabilité. Saurons-nous relever le défi de cette altérité en permettant à l’autre, l’exclus ici, d’entrer pleinement dans la vie sociale ?

Témoigner pour acter sa parole

Ces personnes habituées à l’anonymat deviennent, par l’accès à la parole, auteurs de leur propre histoire dont le récit aura enfin la fonction de résonance qui manquait dans l’histoire collective de notre société. Chacun pourra témoigner pour acter sa parole. De fait, cette formidable somme de témoignages collectés sur Réflexion de France se retrouve à la jonction entre l’impossible (cf Wiesel), cette impossibilité de parler et la nécessité absolue de témoigner. Cependant, le recueil et l’écriture du témoignage autobiographique, autour de la solitude, l’isolement et l’exclusion vécue par ces anonymes peut aboutir à l’élaboration d’un récit plus teinté de subjectivité que d’objectivité.

À chacun sa vérité

D’où l’observance d’une juste distance quant à l’exactitude de ces paroles recueillies et impliquant un positionnement singulier du témoin qui prend des risques quant à la vérité à chaque paroles énoncées. « Le témoin » déclare Sa vérité et nous devons prendre en compte cette subjectivité dans le récit de l’expérience de vie relatée en tant qu’émergence du sujet basculant entre l’urgence de communiquer et l’avènement d’une parole la plus proche de la vérité possible. À nous maintenant de tendre l’oreille et le regard vers celles et ceux que nous n’entendons ou n’écoutons pas !

Pour ceux qui n’ont plus voix au chapitre

Ce décalage par rapport à la question du vrai et du faux nécessite d’être au centre des préoccupations de celles et ceux militants pour les aider à sortir de toute forme d’ostracisme. Pour cette population en quête de visibilité, l’accès à la parole participe la libre expression des idées nécessaire à la vie démocratique. Afin de prévenir toutes les conséquences délétères de cet état d’humiliation perpétuelle, nous devons combler au plus vite ce fossé d’inégalités entre « Eux » et Nous en leur rendant la parole !

On ne peut pas ne pas communiquer : vive l’inclusion !

Pour cette population visible mais inaudible, c’est appréhender la possibilité de communiquer son propre dialogue intérieur permettant de transmettre une opinion et ainsi pour nous, de mettre en place des hypothèses conclusives, à l’aide de récits certes subjectifs. Dès lors que ces personnes exclues pourront écrire la réalité de leurs expériences, elles ne seront déjà plus seules au niveau de ce qu’elles sont en train de vivre… Par la mobilisation citoyenne, tout doit être fait afin de favoriser l’inclusion plutôt que l’exclusion. Dans cette lignée, les animateurs du site Réflexion de France proposent une alternative sociétale en portant à la lumière l’incommunicabilité dans laquelle, celles et ceux qui la supportent sont plongés aujourd’hui. La parole ainsi délivrée annoncera peut-être l’amorce d’une vie en société plus solidaire et remplie d’humanité de présence.

Liberté, égalité, fraternité

L’objectif à atteindre pour nous serait, dans ces conditions, d’éviter à cette population laissée à l’écart de se retirer de la vie par fatalisme ! Derrière les statistiques froides comme la glace, des hommes et des femmes ont pour autant la rage de s’en sortir avec les mots pour le dire. Plus qu’à leurs donner la parole. Tel un acte de résistance organisée, notre action viserait à contredire le destin de cette masse d’anonymes voués à une mort certaine dans l’oubli le plus total et dont l’insupportable spectre des représentations sociales assombrit la promesse de liberté, d’égalité et de fraternité pour nous tous.

STÉPHANE SZERMAN